🕰️ Définition et origine du tour de plaine
Le tour de plaine est un outil agronomique sous forme de visites réalisées par un agriculteur, parfois accompagné d'un technicien agricole, sur l'ensemble de ses champs dans le but d'observer l'état des cultures et de décider, sur la base de ces informations, des actions à réaliser.
Cette pratique agronomique tire son origine des "conférences agricoles" instaurées par Mathieu de Dombasle entre 1823 et 1842 à l'Institut Agricole de Roville. Il s'agissait d'une méthode pédagogique de l'agronomie basée principalement sur l'observation des cultures de l'école.
C'est en 1969 que Michel Sebillote a repris la base de ce fonctionnement pour proposer le tour de plaine : Un outil destiné aux professionnels agricole pour prendre des décisions sur les interventions à mener sur une parcelle en se basant sur des observations de celle-ci.
❓ Pourquoi réaliser un tour de plaine ?
Au début, nous souhaitions rédiger nous même le paragraphe sur les raisons qui poussent à faire un tour de plaine. Puis en nous plongeant dans les références bibliographiques, nous nous sommes rendus compte que Michel Sebillote en a peut-être l'expression la plus rationnelle, la plus agronomique et la plus professionnelle qu'il soit.
Du coup nous vous proposons que ce soit lui qui vous explique pourquoi le tour de plaine est un outil indispensable pour les professionnels de l'agronomie.
Si, sur toutes mes parcelles :
– le climat avait des caractéristiques immuables ;
– le sol était homogène sur toute sa surface et toute son épaisseur ;
– les techniques culturales donnaient un travail rigoureusement constant dans le temps et dans l'espace ;
– les invasions de parasites et d'adventices étaient prévisibles.
Si donc on pouvait prévoir le rendement des cultures chaque année, les travaux et leurs dates, alors un technicien étudierait mon cas au laboratoire et m'indiquerait une fois pour toutes, les solutions possibles sur chacune de mes parcelles. Ensuite je choisirais une solution en fonction des contraintes d'organisation de mon exploitation et des circonstances économiques.
Mais il n'en est pas ainsi !
Michel Sebillote, 1969
En bref 💡: En agronomie/agriculture les systèmes sont tellement complexes, qu'il est illusoire de penser que tout peut être calculé, mesuré et estimé à l'avance et à distance. Face à ce constat implacable, le meilleur moyen de piloter une culture à son terme c'est l'observation pour la prise de décision.
C'est ce qui donne toute la place à ce fameux outil/méthode qu'est le Tour de plaine. Cet outil est constitué de deux étapes essentielles (Il y a des étapes périphériques mais on le verra plus tard) :
- L'observation 👀
- Quoi observer?
- Comment observer?
- Comment ne pas oublier nos observations?
- L'utilisation de l'observation ✅
👀 L'observation durant le tour de plaine
C'est le coeur du tour de plaine : Il faut regarder l'état des cultures et de son environnement car il n'est pas possible de prévoir depuis chez nous tout ce qu'il se passe. Ces observations serviront de base pour déterminer les actions à mener pour conduire la culture à son terme et respecter les objectifs de production.
Maintenant, si nous vous demandons là tout de suite d'aller observer des cultures, vous pourriez tout de suite nous dire "Mais comment est-ce que je fais, qu'est-ce que je dois observer? Comment je l'observe? Et je fait quoi une fois que j'ai observé quelque chose?"
Et vous avez tout à fait raison de poser ces questions auxquelles nous allons répondre.
Attention ❗️Adaptez la suite à votre contexte
Prenez tout ce qui va être présenté ci-après comme un cadre global qui peut s'appliquer à toutes les cultures. Mais selon que vous fassiez des céréales, du raisin, des fruits, des légumes etc... :
- Les ravageurs ne sont pas les mêmes
- Les cycles de végétation ne sont pas les mêmes
- Les objectifs de production ne sont pas les mêmes
- etc...
Il faudra donc adapter ce qu'il y a l'intérieur de cadre global à votre contexte (cultures, objectifs de production etc...).
Que faut-il observer et quand ?
Globalement tout peut-être à observer, vous pourriez y passer des heures 🕦.
Pour vous y retrouver voici une synthèse des observations à faire selon Michel Sebillote. Nous y avons rajouté les moments les plus propices à faire les observations.
Catégorie 🧩 | Observations sur le terrain 👀 | Quand observer 📆 |
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La plante cultivée 🌱 |
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Les adventices 🍁 |
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Les ravageurs et maladies 🦗 🦠 |
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L'état du sol en surface ⛳️ |
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Le profil cultural 🕳️ |
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Microclimats locaux 🌦️ |
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Ce tableau synthétique peut vous permettre d'avoir une première idée de ce qui est observé lors des tours de plaine. Cependant, adaptez le selon votre culture, vos objectifs et votre expertise. Vous pouvez également vous rapprocher de conseillers agricoles pour savoir comment évaluer.
Comment observer efficacement ?
L'observation n'est pas une simple formalité mais un véritable savoir-faire qui s'acquiert et se perfectionne. Une méthodologie rigoureuse permet d'éviter les erreurs d'interprétation et de ne manquer aucun détail important.
Une démarche en trois temps
Nous avons pu accompagner de nombreux conseillers agricoles, voici la méthode en trois phases qui est ressortie comme étant la plus efficace :
- L'observation silencieuse : Parcourir d'abord la parcelle sans parler et sans noter, en laissant le regard capter l'ensemble des informations. Cette première approche permet une vision globale sans être biaisé par ce que l'on a vu sur la parcelle précédente ou par sa grille de notation.
- L'analyse : Prendre le temps d'interpréter ce qui est observé, de faire des liens entre les différents éléments. Cette étape de réflexion est essentielle avant toute prise de notes.
- La documentation : Ce n'est qu'en dernier lieu que l'on procède à la notation des observations et des conclusions, une fois que l'interprétation est claire.
Une observation active et concrète
L'observation de qualité est nécessairement active. Les experts n'hésitent pas à :
- Rentrer au moins 20 à 30 mètres dans la parcelle. Nous ne voyons pas les mêmes choses de notre voiture qu'en plein milieu des champs.
- Creuser un trou pour examiner le profil cultural (même rapidement, cela peut donner des informations)
- Découper des brins ou des rameaux pour observer les symptômes internes
- Prélever des feuilles ou du sol pour une analyse plus précise en laboratoire ou à montrer à un expert
- Se déplacer entre différentes zones de la parcelle pour comparer
- La majorité de nos observations viennent du sens de la vue. Prendre des photos avec son smartphone est un moyen d'objectiver nos informations.
Passer du ressenti à la grille de notation
Lors de la phase de notation de l'observation, deux principes fondamentaux doivent être respectés :
- Décomposer l'observation : Éviter de juger ("belle parcelle", "mauvais état"). Mais plutôt faire des observations précises et mesurables. Quantifier lorsque c'est possible (taux de couverture, nombre de plants au m², hauteur) et qualifier avec précision (stade phénologique exact, symptômes spécifiques avec un pourcentage d'attaque etc...).
- Contextualiser dans le temps : Toute observation est liée à un moment précis et à des conditions particulières. Noter la date, le stade de développement et les conditions météorologiques récentes permet de remettre des observations dans son contexte.
La mémoire humaine étant imparfaite, un système de documentation fiable est indispensable pour suivre l'évolution des cultures dans le temps et tirer des enseignements année après année.
🛠️ Outil pour enregistrer les observations
Après avoir observé, viendra l'étape de l'utilisation de ces observations. Cependant, notre cerveau a une mémoire capricieuse. Au bout de deux trois parcelles observées il est fort probable que vous oubliez les observations exactes sur les parcelles précédentes. D'où l'importance de noter ses observations!
Mais sur quoi noter?
La base : Le cahier ou le carnet 📒
Un bon cahier/carnet et un bon stylo peuvent très bien faire l'affaire :
- Coût modeste
- Accessible à tous
- Facile d'emploi. On fait une page par parcelle et hop, on note tout.
Ce cahier/carnet est très bien pour noter et retrouver une information. Mais cela se corse vite quand :
- Transmission d'observations compliquées : Vous travaillez à plusieurs (Agriculteur à conseiller, agriculteur à agriculteur...) et vous devez vous partager les informations. Vous pouvez transmettre le cahier, mais vous ne pouvez plus l'utiliser. Le scanner prend du temps. Utiliser deux cahiers? Oui mais l'information sera à deux endroits.
- Format figé : Imaginons que vous notez vos observations parcelle par parcelle, mais qu'à un moment vous souhaitez identifier tous les blés qui ont eu de la rouille. Il faudra revoir toutes les parcelles une par une.
- Impossibilité de rajouter des photos : A moins de les imprimer et de les coller.
- Analyses croisées longues : Par exemple si vous voulez rapprocher vos observations terrain avec vos interventions faites sur votre cahier de culture, alors il sera quasiment obligatoire de devoir repasser parcelle par parcelle, page par page vos observations pour trouver celles correspondantes à votre recherche.
Le cahier/carnet est bien pour démarrer, mais si vous souhaitez capitaliser sur l'information, travailler à plusieurs et l'enrichir avec des photos, de la localisation il faudra passer à d'autres outils
Les applications de collecte de données mobiles 📱
Pour pallier les limites du carnet papier, les applications de collecte de données sur smartphone ou tablette offrent une solution moderne et efficace pour le tour de plaine.
Kizeo Forms : une solution adaptée au tour de plaine
Kizeo Forms est particulièrement adaptée aux professionnels agricoles souhaitant structurer leurs observations de terrain. Cette application vous permet de :
- Créer des formulaires personnalisés : Adaptez exactement les champs à vos besoins (notation des maladies, comptage d'adventices, stades phénologiques)
- Collecter des données même hors connexion : Idéal dans les zones rurales où le réseau mobile peut faire défaut
- Enrichir vos observations avec des photos géolocalisées : Documentez précisément l'état des cultures avec des preuves visuelles géolocalisées (pour les retrouver plus tard)
- Générer automatiquement des rapports standardisés : Transformez vos observations en compte-rendus professionnels PDF envoyés directement à vos collaborateurs ou clients
- Centraliser toutes vos données : Retrouvez l'historique complet des observations par parcelle, par culture ou par type de problème
Exemple de formulaire Kizeo Forms de tour de plaine (version viticole) :
L'application fonctionne sur un modèle d'abonnement mensuel, ce qui représente un investissement à considérer, mais qui se justifie rapidement par le gain de temps et la fiabilité accrue des données collectées. Pour les conseillers agricoles ou les exploitations de taille importante, c'est un outil qui peut grandement améliorer l'efficacité du tour de plaine.
Autres solutions similaires
D'autres applications comme JotForm, Tally, ou des solutions plus génériques comme Google Forms peuvent également servir à structurer vos observations, bien qu'elles n'offrent pas toutes les fonctionnalités spécifiques au contexte agricole ou la capacité de travailler hors connexion.
Les logiciels métier avec module de tour de plaine 💻
Au-delà des outils de collecte généralistes, l'agriculture dispose de logiciels métier intégrant des fonctionnalités spécifiques pour le tour de plaine, avec l'avantage majeur de connecter directement vos observations aux autres données de l'exploitation.
Voici les plus connus :
- SMAG Farmer
- MesParcelles (développé par les Chambres d'Agriculture)
- Geofolia d'ISAGRI
Avantages des solutions métier intégrées
Ces outils professionnels présentent plusieurs atouts majeurs :
- Intégration complète : Les observations s'insèrent naturellement dans le système d'information de l'exploitation
- Traçabilité réglementaire : Les données collectées alimentent automatiquement les registres obligatoires
- Aide à la décision : Certains systèmes proposent des modèles prédictifs basés sur vos observations et les données météo
- Cartographie précise : Visualisation spatiale des problèmes identifiés sur fond cadastral ou vue satellite
- Continuité numérique : De l'observation à l'intervention, toute la chaîne décisionnelle est numérisée
Limites à considérer
Ces solutions métier représentent généralement un investissement plus conséquent qu'une simple application de collecte, et nécessitent souvent une formation pour en maîtriser toutes les fonctionnalités. Elles sont particulièrement pertinentes pour les exploitations déjà engagées dans une démarche de numérisation globale de leur gestion.
Quelle solution choisir ? 🤔
Le choix de l'outil dépend essentiellement de votre contexte :
- Pour débuter : Le bon vieux carnet reste une solution simple et accessible
- Pour plus d'efficacité sans investissement lourd : Une application comme Kizeo Forms offre un bon compromis
- Pour une approche intégrée : Les logiciels métier comme SMAG Farmer, MesParcelles ou Geofolia constitueront la solution la plus complète
L'essentiel reste d'adopter un système qui vous permettra de capitaliser sur vos observations au fil des saisons, transformant ainsi votre tour de plaine en un véritable outil d'amélioration continue de vos pratiques.
🧪 L'utilisation des observations
Observer n'est pas une fin en soi. Le véritable intérêt du tour de plaine réside dans l'exploitation des données récoltées pour piloter l'exploitation et prendre des décisions éclairées. Cette utilisation se déroule en trois étapes complémentaires :
1. Établir un diagnostic et identifier les problèmes
La première étape consiste à analyser la situation culturale dans son ensemble :
- Évaluer si l'état observé est favorable ou défavorable par rapport aux objectifs fixés
- Dégager la nature précise des problèmes rencontrés (hydromorphie, adventices, structure du sol, carences)
- Délimiter l'étendue spatiale des problèmes (parcelle entière, zones spécifiques)
- Quantifier l'importance et la gravité de chaque problème identifié
- Mettre en relation ces observations avec les interventions passées et les conditions climatiques pour comprendre l'origine des situations observées
Ce diagnostic global permet d'avoir une vision claire de l'état actuel de l'exploitation et des facteurs limitants potentiels.
2. Hiérarchiser les priorités et planifier les interventions
Une fois les problèmes identifiés et caractérisés, il faut établir un ordre de priorité pour les actions à entreprendre :
- Classer les problèmes selon leur impact potentiel sur le rendement et la qualité
- Prendre en compte l'urgence des interventions (certaines situations nécessitent une action immédiate)
- Intégrer les contraintes techniques et économiques de l'exploitation (disponibilité du matériel, coûts, temps disponible)
- Élaborer des solutions adaptées et proportionnées pour chaque problème prioritaire
Cette hiérarchisation permet d'optimiser l'allocation des ressources et d'intervenir là où l'impact sera le plus significatif.
3. Constituer et analyser l'historique des observations
Pour tirer pleinement parti du tour de plaine sur le long terme, il est essentiel de :
- Enregistrer systématiquement les observations dans un format permettant leur exploitation ultérieure
- Créer un historique parcellaire documentant l'évolution des cultures et des problèmes au fil du temps
- Réaliser des bilans en cours de saison pour ajuster la conduite des cultures
- Effectuer un bilan de fin de campagne pour évaluer l'efficacité des interventions réalisées
- Analyser les tendances pluriannuelles pour affiner les stratégies futures
Cette dimension temporelle transforme les observations ponctuelles en un véritable outil de gestion stratégique, permettant d'améliorer continuellement les pratiques et de développer une connaissance approfondie du comportement des parcelles dans différentes conditions.
N'hésitez pas à croiser vos observations avec d'autres sources comme :
- L'historique des travaux menés (labour, semis, récolte...)
- Le détail des traitements (engrais, produits phytosanitaires)
- Les mesures de rendement
🔝 Conclusion
Le tour de plaine est une pratique fondamentale qui permet de piloter efficacement les cultures face à l'imprévisibilité des systèmes agricoles. Son processus en trois temps - observer avec méthode, diagnostiquer avec précision et agir avec discernement - transforme des observations de terrain en décisions éclairées.
Qu'il soit documenté par un simple carnet ou des outils numériques sophistiqués, l'essentiel reste de capitaliser sur cette connaissance au fil des saisons. Cette démarche, héritée de Mathieu de Dombasle et formalisée par Michel Sebillotte, demeure plus que jamais pertinente pour une agriculture performante, économe en intrants et adaptée aux conditions spécifiques de chaque parcelle.
Le tour de plaine n'est pas qu'une technique : c'est la traduction concrète d'une agriculture où l'observation précède systématiquement l'action.