Quand je suis entré dans le monde professionnel, l'une de mes missions a été de mener des projets de digitalisation (pas de numérisation ou de transformation numérique).
À l'époque, on m'avait promis monts et merveilles : gain de temps considérable, meilleure rentabilité, augmentation de la satisfaction client... Plein d'enthousiasme, j'ai commencé par explorer Google, cherchant à comprendre ce qu'était concrètement la digitalisation des entreprises. Mais rapidement, je me suis retrouvé face à une montagne d'articles généralistes, remplis de banalités sans réelle valeur ajoutée.
Aujourd'hui, après une décennie passée à déployer des outils numériques, j'ai compris que la digitalisation est bien plus qu'une simple accumulation d'outils. C'est avant tout un parcours, une aventure humaine et organisationnelle, jalonnée d'étapes précises.
Dans cet article, je partage la méthode que j'ai développée au fil de ces expériences, structurée en trois étapes distinctes, pour guider efficacement la digitalisation de processus d'entreprise :
- Acclimater les équipes au numérique : Remplacer progressivement les éléments physiques par des outils numériques simples et familiers pour initier en douceur cette transition.
- Monter en productivité : Intégrer des outils spécialisés pour répondre précisément aux tâches métier et automatiser efficacement les tâches répétitives.
- Rationaliser les outils numériques : Diminuer la fragmentation des systèmes en unifiant les outils pour centraliser et optimiser la gestion des données.
Pour illustrer ces étapes, je prendrai l'exemple fictif d'une entreprise ardéchoise spécialisée dans la transformation et la vente directe de crème de marrons. Cet exemple concret nous permettra d'illustrer précisément les bénéfices et les défis à chaque étape de cette digitalisation progressive.
Etape 1 - Acclimater les équipes au numérique
Les premiers utilisateurs de ce numérique vont être les employés. Si il ne sont pas en maitrise de l'outil informatique de base (ordinateurs) ou mobile (smartphone), vous aurez beau déployer tous les outils numériques du monde, ils ne seront jamais pleinement utilisés. Ce qui remet en question les gains promis par ces outils.
Un excellent moyen de faire passer ce cap aux utilisateurs est de digitaliser des processus en utilisant des outils numériques hérités de la vague de l'informatique personnelle :
- Les logiciels de traitement de texte pour dématérialiser des documents papier.
- Les tableurs pour commencer à sensibiliser à la structuration de données et des calculs
- Les outils d'agenda
- Les mails pour l'échange d'information
- Les navigateurs web et moteurs de recherche pour la recherche d'information
Des lecteurs m'ont fait remarquer que cette étape avec ces outils pouvait être "ringarde" car tout le monde les utilise déjà
Alors oui ces outils sont bien présents.
D'abord, est-ce qu'ils sont bien exploités ? Est-ce que vous avez diffusé des modèles de rapport Word? Des modèles PowerPoint? Est-ce que vous avez formés les collaborateurs bonnes pratiques de gestion de boîte mail? Aux bonnes pratiques de partage de document (par exemple transférer un lien vers un document stocké dans un Drive en ligne, plutôt que de le mettre en pièce-jointe en dur) etc...
Ensuite est-ce que ce sont bien les outils destinés aux professionnels qui sont utilisés? Par exemple on voit souvent passer des adresses mails utilisées pour le travail qui se terminent par @gmail.com ou @orange.fr. Si encore vous êtes seuls, pourquoi pas. Mais si vous êtes plusieurs, que se passe-t-il si un salarié part? Comment configurer des signatures d'entreprise? Etc...
En somme, même sur ces basiques il y a toujours à aller chercher plus de confort et plus de sécurité en s'attardant bien à ces outils déjà bien déployés mais qui peuvent être mal utilisés.
Prenons l’exemple de notre entreprise ardéchoise de crème de marrons.
Initialement, les commandes clients étaient traitées à l'aide de bons papier, ce qui occasionnait pertes, retards et erreurs de saisie.
En passant simplement à des documents numériques (type Word ou Google Docs) et des tableurs (type Excel ou Google Sheets), les employés ont pu rapidement comprendre les avantages concrets du numérique : centralisation, accès simplifié et rapidité de traitement.
Cependant cette pratique se doit d'être temporaire car il est extrêmement dangereux ⚠️ de baser des processus de l'entreprise (facturation, comptabilité, reporting) sur des outils pensés avant tout pour un usage personnel.
Vous pourriez me dire : "Mais qu'est-ce qui fait que ces outils personnels sont problématiques pour gérer mes processus?". Bonne question, et voici quelques exemples qui montrent les problèmes liés à l'usage excessif de ces outils dans des processus d'entreprise :
- La donnée est stockée sur l'ordinateur du ou de la salariée
- On a un éparpillement de l'information dans tous les documents/tableurs/mails qui sont maitrisés par le ou la salariée (Salarié indisponible = ciao la donnée)
- Les utilisateurs peuvent se sentir frustrés de passer leur temps à répéter les mêmes clics, les mêmes copier-coller et finalement faire que de la "bureautique"
- Face à cette frustration certaines personnes peuvent commencer à "Automatiser" ces processus métiers mais en se basant sur ces outils "Personnels" (coucou les classeurs Excel avec du VBA qui gèrent la comptabilité). Or ces outils n'ont pas du tout été prévus pour gérer un processus métier. Ce qui peut amener à bien d'autres lourdeurs.
Cette étape de digitalisation ne doit avoir que pour objectif d'acclimater des salariés à l'outil numérique, de comprendre les base de fonctionnement d'un ordinateur ou d'un smartphone.
Dès que vous détectez de la frustration de la part de vos utilisateurs, il est important de passer à l'étape 2.
Formation de salariés aux outils numériques // Photo de Campaign Creators sur Unsplash
Etape 2 - Monter en productivité avec des outils numériques spécialisés
Une fois vos utilisateurs acclimatés au numérique, ils vont très probablement demander de gagner en productivité et d'automatiser des tâches répétitives.
Pour répondre à leurs attentes, vous pouvez déployer des outils spécialisés dans des processus bien précis de l'entreprise (comptabilité, Ressources Humaines, Gestion de clientèle...).
Autant les outils traditionnels montrés dans l'étape 1 sont plus universels, autant les outils spécialisés sont d'une grande diversité (coût, fonctionnalités, mise à disposition, ergonomie...).
C'est pourquoi à partir de cette étape il est primordial de rentrer en mode projet :
- Ecoute des besoins et priorisation des processus à digitaliser
- Recherche d'outils adaptés
- Tests du nouvel outil choisi avec un groupe restreint
- Implémentation de l'outil au reste des équipes
- Formation, maintenance.
Notre entreprise ardéchoise de crème de marrons veut mieux suivre ses clients et vendre en ligne.
Aujourd’hui, les infos clients sont dispersées dans plusieurs fichiers Excel.
Étape 1 – Identifier le besoin :
L’équipe veut un outil pour centraliser les contacts, suivre les commandes et garder un historique des échanges.
Étape 2 – Choisir un outil :
Elle teste plusieurs CRM, et choisit HubSpot, qui propose une version gratuite, simple à utiliser et bien intégrée au web.
Étape 3 – Tester avant de tout changer :
Quelques commerciaux utilisent HubSpot pendant un mois pour voir s’il répond aux attentes.
Étape 4 – Ajuster :
Les retours permettent d’ajouter quelques champs personnalisés et de connecter les formulaires du site internet.
Étape 5 – Lancer pour tout le monde :
Le CRM est adopté par toute l’équipe, avec une formation rapide sur les fonctions de base.
Normalement vos équipes vont sentir un gain de temps. Toutefois, il est fort probable qu'elles se plaignent d'un nouveau problème : Le nombre de re-saisies important.
Plus vous allez augmenter le nombre d'outils spécialisés et plus vous allez augmenter la probabilité que certains d'entre-eux partagent la même information.
Un exemple très concret, c'est la liste des clients. Si vous avez d'un côté un outil de comptabilité et de l'autre un outil de gestion de commande, tous deux vont avoir besoin de la liste de vos clients. Si vous ne mettez pas en place de lien automatique entre eux vous risquez de décourager les équipes à les utiliser et probablement générer des erreurs de saisies. Si les deux outils donnent une adresse différente pour un même client, qui a raison?
Vous pouvez avant de choisir un nouvel outil vérifier sa compatibilité avec ceux existants. Aussi, vous pouvez également utiliser des outils d'automatisation comme Make, PowerAutomate etc... pour faire transiter automatiquement les données d'un outil à un autre.
A moyen termes c'est payant, à long terme et avec un accroissement d'activité les petites frustrations vont devenir des freins.
Equipe en pleine réflexion de projets // Photo de Jason Goodman sur Unsplash
Etape 3 - Rationaliser les outils numériques
Résumons, vos équipes sont formées aux outils numériques, elles ont des outils adaptés aux tâches spécifiques, mais elles se plaignent d'avoir trop d'outils et de ressaisies à faire. C'est à ce moment là où il faut décider à rationaliser les outils.
Notre entreprise de châtaignes dispose maintenant d'un outil de comptabilité, de facturation et de gestion client. Cependant, les trois outils ne sont pas pleinement intégrés entre eux et les salariés se plaignent de ressaisies intempestives.
Pire, certains ont commencé à faire leur propres suivis de vente dans des fichiers Excel pour éviter de tout ressaisir.
C'est le moment d'agir!
Concrètement cette rationalisation est de diminuer le nombre d'outils en remplaçant plusieurs outils par un seul.
Ces outils tout en un sont nommés ERP (Enterprise Ressource Planning ou Progiciel de Gestion Intégré in French).
Ils permettent de mettre sous le même outil tous les aspects d'une entreprise (Comptabilité, gestion de production, CRM, facturation etc...). Leur grande force réside dans le fait de centraliser toutes les données communes aux différentes fonctionnalités (par exemple la liste de client centralisée).
Une des logiciels les plus connus est SAP. Mais il en existe bien d'autres comme Odoo.
Schéma récapitulatif d'un ERP
Ils sont souvent vus comme étant lourds, complexes, beugués, prévus pour des managers qui veulent des tableaux de bord, et non pour les utilisateurs (caissiers, comptables, commerciaux etc...).
Il y a une part de vérité mais le gain en terme de centralisation de l'information est incroyable.
Quand on prend individuellement chaque module d'un ERP (CRM, Comptabilité...) on trouvera toujours sur le marché un outil qui fait mieux.
Mais à un moment donné, la quantité de données dans une entreprise est telle qu'avoir un outil qui unifie la data est un gain de temps sur le long terme (prise de décision facilité, accès en temps réel à des indicateurs fiables etc...).
D'ailleurs à ce sujet, la française Fidji SIMO, CEO de ChatGPT et d'Instacart, dans une interview LSA du 22 mai 2025, a répondu ceci à la question "Quel est votre regard sur la digitalisation des entreprises françaises?"
"Je pense que de nombreuses enseignes ont déjà fait un très bon travail. Mais elles utilisent encore beaucoup de solutions ponctuelles et différentes pour chaque tâche. Un prestataire pour ceci, un autre pour cela... Elles essaient ensuite de tout recoller pour créer une expérience fluide, quand l'enjeu, tel que nous l'imaginons chez Instacart, est plutôt de travailler avec un écosystème intégré pour montrer aux clients que tout est connecté et fluide."
Une donnée centralisée sera toujours plus facile d'accès qu'une donnée éclatée. Que ce soit pour un humain, mais aussi pour une IA. Mais il s'agit d'un autre sujet...
Cette méthode de digitalisation en 3 étapes n'est-elle pas du gâchis?
Vous pourriez me rétorquer que le fait de payer plusieurs fois des changements vers de nouveaux outils est un gâchis et que l'on aurait pu économiser de l'argent et du temps en choisissant directement un ERP. Je suis d'accord avec vous, et la remarque est tout à fait légitime.
Premièrement les ERP sont des logiciels/outils très complexes. Très récemment GIFI a frôlé la catastrophe industrielle suite à un changement d'ERP douloureux.
Dans le monde de la tech' il est acquis qu'un projet de digitalisation est toujours très complexe. Pour affronter cette difficulté, deux visions s'affrontent :
- C'est en faisant que nous définiront notre besoin
- Nous devons définir ce que nous voulons avant de faire
Dans le monde du numérique les méthodes de déploiement de solutions numériques, comme les méthodes Agiles, suivent plutôt le premier point. Les rédacteurs du Manifeste Agile étaient arrivés à la conclusion que les projets "cahier des charge/développement/livraison" échouaient souvent car à côté de la plaque (éloigné du besoin réel).
D'ailleurs il n'y a pas que le numérique qui utilise ce principe. Les ingénieurs de Space X (les fusées) vont très vite faire des prototypes, les tester (ça se termine souvent par une explosion), puis apprendre des erreurs pour améliorer le prototype suivant.
On pourrait penser que cette méthodologie est très chère à cause de la casse, mais la NASA, dans une note, estimait que si ils avaient dû faire la fusée Falcon 9 de Space X cela leur aurait coûté 10 fois plus cher. La NASA ayant des méthodes plus traditionnelles où tout est calculé avant le lancement du moindre prototype.
D'où la méthode en trois points que je propose qui se veut prioriser l'utilisation à la planification. C'est une méthode que j'ai appliquée durant mes expériences professionnelles et qui a évité de dépenser trop d'argent d'un coup dans des outils trop complexes avec un besoin mal défini.
Cette méthode de digitalisation des entreprises est à adapter à votre contexte
Ce que je propose ici est un cadre issu de mes expériences. Il est tout à fait possible, voire primordial de l'adapter à votre contexte.
Par exemple vos équipes sont probablement déjà à l'aise avec l'outil numérique et vous pouvez directement passer à l'étape 2.
Aussi, il est est possible que vous ayez déjà un ERP pour gérer l'entreprise et que vous souhaitez mettre en place un outil spécialisé qui permet de répondre à un besoin précis.
L'un n'est pas incompatible avec l'autre.
Dans ce cas prenez le temps de bien vérifier si la suite ERP ne permet pas de répondre à votre besoin. Ensuite, lors de l'implémentation du nouvel outil, faites en sorte de créer des liens automatiques entre ce dernier et l'ERP.
Enfin, cette méthode est issue de plusieurs expériences personnelles et de méthodes réellement appliquées durant mes missions au quotidien. Elle est adaptée aux besoins rencontrés à un moment donné. Vous pouvez la prendre entièrement ou picorer selon vos besoins à vous.
Si vous avez des retours d'expérience sur des digitalisations de processus, n'hésitez pas à me les partager en commentaire!